Site du Club Vélo de l'ESAG
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La
cadence de pédalage
Certaines convergences vous amènent à
vous interroger. En moins de huit jours, cet été, nous avons rencontré Robert
Gauthier, vécu les sept travaux d'Hercule pour escalader le mont Ventoux sur
l'Étape du Tour cyclosportive et visionné, avec des yeux tout ronds, la
démonstration de Lance Armstrong tricotant son braquet dans les montées de
Hautacam et du même Ventoux. Dénominateur commun en question : la cadence de
pédalage.
Le
11 juillet dernier, quelques jours avant les images du Tour dans les mêmes
lieux, nous avons pu observer des cyclosportifs pédalant au ralenti (nous
parlons ici de cadence et non de vitesse) sur les terribles pentes qui suivent
Saint-Estève, s'arrêtant même à plusieurs reprises sur le bord de la route
exposée au vent glacial, après et même avant le Chalet Reynard. D'autres images
encore, entrevues dans un contre-la-montre cyclosportif au lendemain d'avoir
suivi Boardman dans le Grand Prix des Nations, nous ont confirmé une évidence :
vitesse mise à part, les cyclosportifs tirent tous bien trop grand et ne savent
pas tourner les jambes.
Fort de ce constat, nous nous sommes
livrés à quelques évaluations, "cadenceur" de pédalage installé sur le vélo.
Savez-vous qu'avec 39 x 25, si vous devez "descendre" dans le mont Ventoux, ne
serait-ce qu'à 8 km/h, votre fréquence de pédalage n'excède pas 41 tr/mn ? Et si
vous progressez sur 30 x 23 à la même vitesse, vous ne dépassez guère 48 tr/mn.
À 7 km/h, vous tombez respectivement à 35 et 42 tr/mn. Lorsque votre compteur
indique 40 km/h dans un contre-la-montre, avec un braquet de 52 x 13 (si, ne
tournez pas la tête, on vous a vu !), la cadence tourne aux alentours de 78 tr/mn.
Pour ceux qui s'obstinent face au vent
à 36 km/h sur 52 x 14, le verdict est de 76 tr/mn. Tous ces exemples pour vous
montrer combien vous êtes éloigné des cadences d'Armstrong (85 à 90 dans les
ascensions, et 100 à 115 contre la montre).
Pour bien comprendre où se situe
l'erreur, nous avons demandé à Robert Gauthier de nous éclairer.
Le
régime plutôt que le couple
Ces dernières
années, on avait tendance à privilégier la force plutôt que la cadence. On peut
comparer l'être humain avec la voiture puisque, dans les deux cas, nous sommes
en présence de "moteurs thermiques". Or, pour un véhicule courant pesant une
tonne, dont le moteur développe 100 ch (soit 73,6 watts par kilo puisque 1
cheval vapeur = 736 W), on accroît le régime (le nombre de tours par minute)
plutôt que le couple pour améliorer la puissance.
Les tout meilleurs coureurs affichent
environ 550 W (bien au-dessus du cyclosportif moyen), c'est-à-dire que leur
puissance est de l'ordre de trois quarts de cheval. On peut estimer celle du
cyclosportif traditionnel voisine un demi-cheval ou y reste inférieure. Le
rapport poids/puissance est de 5 W/kg pour un cyclosportif pesant 75 kg et
développant 375 W, il passe à 7 W/kg pour l'élite et même à 8 W/kg pour un
Pantani.
Ce constat met en lumière l'aberration
d'avoir voulu (et de vouloir encore) élever les performances en améliorant la
force par l'utilisation de grands braquets et de grandes manivelles, quand ce
n'est pas par des moyens pharmaceutiques bien éloignés d'un entraînement
rationnel.
Alors que sa réserve de force est très
limitée, un simple cyclosportif peut dépasser 180 tr/mn en cadence explosive
(sur un temps bref). Ne soyez pas surpris, certains pratiquants du BMX ont
affiché plus de 250 tr/mn. C'est certainement ce que la recherche américaine a
compris et qu'illustre parfaitement l'évolution de la cadence de pédalage de
Lance Armstrong.
Approche
technique
La puissance
développée sur le cycle de pédalage se représente par une sinusoïde avec un
sommet quand la manivelle est en position horizontale (position 3 heures sur le
cadran) et le minimum au passage en situation verticale (6 heures ou 12 heures).
C'est la fameuse perte d'énergie aux passages aux points morts que les
chercheurs essaient d'escamoter.
Tout pratiquant confirmé aura remarqué
de lui-même que plus son rythme de pédalage est lent, plus ce franchissement des
points morts est difficile car plus la cassure, donc la perte d'énergie, est
importante.
Conséquence : plus la perte d'énergie
est importante à ce niveau, plus on est obligé de travailler en force sur la
partie active du cycle de pédalage. C'est ce qui nous amène à nous mettre en
danseuse pour passer à un mouvement alternatif (poids du corps sur une pédale
puis sur l'autre) quand nous éprouvons des difficultés à enrouler le braquet
(enchaînement rotatif).
L'important n'est pas tant la puissance
maximale développée au point fort du cycle de pédalage que la puissance moyenne
(plus faible forcément car tributaire de la perte enregistrée par les passages
aux points morts). C'est cette puissance moyenne qui est restituée à la roue
arrière. Cette première approche a conduit les entraîneurs à conseiller
d'arrondir le coup de pédale en "raclant" la pédale au passage bas, voire en la
remontant aussitôt après.
Approche
physiologique
Tout muscle qui travaille en force se
charge de résidus (les lactates ou acide lactique) de la combustion, en présence
d'oxygène, de l'énergie dépensée.
Ces résidus peuvent êtres recyclés et
neutralisés, tout ou partie, par réoxygénation de la masse musculaire. La
fatigue apparaît quand tous les lactates produits ne sont pas résorbés et
commencent à engorger le muscle. Ce dernier devient douloureux, perd sa
souplesse, fonctionne moins bien et peut finir par se bloquer (contractures,
crampes).
Souvenez-vous de l'état de vos cuisses
dans la "séance d'haltérophilie" que votre trop grand braquet leur imposait en
montant le Ventoux ! Or le travail prolongé du muscle sur le cycle de pédalage,
en accompagnant la pédale, sur et après la phase de passage au point mort,
accroît le temps de travail et, par conséquent, limite la possibilité de
réoxygénation. C'est la raison pour laquelle Robert Gauthier et le Centre
médico-sportif de Lyon ont orienté leurs recherches sur le passage le plus
souple du point mort bas, avec une gestuelle de "l'abaissement du talon" suivi
aussitôt de la remontée du genou (théorie expliquée dans le dossier "Étude
posturale" publié le mois dernier dans Cyclo Passion n° 74).
Ce mouvement, qu'il faut bien sûr travailler avant qu'il ne devienne réflexe,
favorise un microétirement musculaire suivi d'une réoxygénation, en mettant le
muscle au repos dès l'amorce de la phase de remontée.
Ce travail reste cependant indissociable de celui de la cadence de pédalage.
Plus les points morts sont passés
rapidement, moins la perte de puissance est sensible, moins le muscle travaille
en force dans sa phase active et moins il se charge de lactates. Plus la cadence
est élevée, plus nombreuses sont les phases de récupération par étirement suivi
de relâchement.
En côte, en particulier, le cycliste
possède très peu de réserve de force, par contre il peut augmenter son régime de
pédalage tant qu'il ne dépasse pas son seuil aérobie. L'erreur, souvent
répandue, revient à confondre force et puissance. On ne peut dépasser sa propre
puissance cardio-vasculaire.
Or gérer la cadence, c'est prendre en
compte le potentiel énergétique de l'individu. Déterminer le rendement
énergétique d'un sportif n'est rien d'autre que d'évaluer combien il produit de
watts avec sa VO2, sachant qu'un litre d'oxygène fixé et transporté au muscle
par le sang vaut environ 350 W, desquels il faut déduire les pertes nécessaires
au fonctionnement de la machine humaine (équilibre des températures,
digestion...).
Ce qui ramène environ le rendement vers
19 à 21 % pour un cyclosportif, chiffres qu'on peut améliorer jusqu'à 25 par
l'entraînement.
La fréquence idéale
Faut-il en conclure que vous devez
travailler sur les bases de Lance Armstrong ? Existe-t-il une ou des cadences
idéales ?
Alors que, précédemment, on situait
communément la cadence convenable à 90 tours sur le plat et 60 tours dans les
ascensions, les approches scientifiques plus pointues ont élevé ces valeurs à,
respectivement, près de 105 et 85 tr/mn.
Laissons sur ce point la parole à
Robert Gauthier : "1l n'y a pas forcément de cadence idéale, si ce ne sont des
habitudes personnelles.
En toutes circonstances, il est
préférable de ne pas pédaler en force, dès lors qu'on est entraîné à le faire,
mais il existe tant d'idées reçues ! Si on se place sur le plan du rendement
énergétique, donc dans un contexte qui implique quand même un minimum de
performance, il est bien évident que la cadence idéale se situe à 100 tr/mn ou
plus, quel que soit le sujet.
Pourquoi voudrait-on, par exemple,
qu'un cyclosportif de 50 ans soit condamné à pédaler en force, alors qu'il peut
économiser son énergie, sa musculature, ses tendons, ses ligaments et son
système cardio-vasculaire en travaillant à développer la souplesse de son coup
de pédale ? Pourquoi un cyclotouriste, ou un cyclosportif, ne pédalerait-il pas
à 100 tr/mn, puisqu'il dispose d'une énorme réserve de cadence, alors que sa
force arrive vite à sa limite ? Ceci bien sûr à une puissance égale (en
réduisant le braquet)."
À propos de l'idée reçue qui prétend
que tourner vite les jambes essouffle et est donc générateur d'acide lactique,
il ajoute : "Pourquoi voudrait-on produire plus d'acide lactique en augmentant
la cadence à rythme cardio-vasculaire égal ? Par contre, si le cycliste se place
dans le rouge, c'est un tout autre problème !" Enfin, au sujet de la tendance à
tirer plus gros, quand on a les grosses cuisses en fin d'épreuve : "Lorsqu'on
atteint un taux d'acide lactique résiduel (fatigue musculaire), on peut avoir
l'impression d'être mieux en pédalant en force car la musculature a perdu une
grande partie de sa souplesse et de son potentiel de détente, mais avec quel
rendement ? D'ailleurs, c'est une habitude d'anticiper le braquet alors que, si
on maintient une cadence suffisante, en contrôlant bien la zone de fréquence
cardiaque, on ne risque rien. Le tout est d'évoluer à son seuil physiologique
lorsque le volume de C02 expiré est équivalent au volume de 02 consommé. "
Un exemple parlant : le cas
d'Armstrong en difficulté dans la montée de Joux-Plane. Ce jour-là, son rapport
puis-sance/poids était inférieur à celui de Virenque. Ne pouvant suivre à sa
cadence habituelle sur le même développement, il a réduit son braquet, montant
raisonnablement à son rythme, évitant un effondrement fatal.
Comment
travailler ?
Tout d'abord, vous vous équipez d'un
compteur indiquant votre cadence de pédalage, avec capteur sur la base et
aimant sur la manivelle (Sigma Bol 200, Polar Accurex ou bien, plus esthétique,
les modèles intégrés Campagnolo ou Shimano qui calculent votre cadence d'après
votre vitesse et le braquet employé, programmation préalable).
Plus simple encore, vous mémorisez les vitesses correspondant à quelques
braquets usuels (par exemple, 39 x 16 à 105 tr/mn = 32,6 km/h, 39 x 17 = 30,7
km/h, 39 x 18 = 29 km/h, voir
tableau page 80).
Vous pouvez travailler sur home-trainer
freiné ou sur le terrain pour bien vous familiariser avec les cadences. Robert
Gauthier insiste sur le fait que le "moteur humain" est un tout petit moteur et
qu'il ne faut pas le brusquer. Ainsi, si votre régime habituel tournait autour
de 85 tr/mn (attention, on croit toujours tourner plus vite et l'on est surpris
au premier contrôle), vous risquez de vous trouver effaré, dans un premier
temps, par ce que représente une cadence de 105. Il ne faudra pas vouloir
l'atteindre lors de votre premier entraînement mais respecter une progression et
passer au fil des sorties, sur des braquets modestes, de 85 à 90, puis 95, 100
avant d'arriver à tenir 105 tr/mn sans dépasser votre seuil aérobie,
c'est-à-dire être capable de maintenir durablement cette cadence.
Dans tous les cas, respectez la règle suivante : on ne peut effectuer un
entraînement profitable sans un échauffement.
Forcer "la machine" prématurément revient à placer la musculature en état de
fatigue en l'engorgeant d'un taux d'acide lactique résiduel qui l'empêchera, par
la suite, de travailler dans de bonnes conditions. Veillez avec votre cardio à
ne pas monter trop vite en puissance.
Un échauffement bien conduit débute par
un travail à cadence très moyenne où l'organisme se réhabitue, dans un premier
temps, à produire de l'énergie à partir des graisses (lipolyse) en consommant
beaucoup d'oxygène. On évite la dégradation prématurée du glycogène, plus
rapidement disponible. Il se poursuit par un travail en zone d'aérobie classique
puis d'aérobie foncière où le coeur se réadapte pour envoyer plus d'oxygène et
où les fibres musculaires se remettent à travailler en souplesse (reconstitution
progressive de la cadence).
À partir de là, c'est-à-dire au bout
d'une vingtaine de minutes d'échauffement, l'organisme est prêt à évoluer au
seuil physiologique (où l'équilibre entre la consommation d'oxygène et le volume
de gaz carbonique rejeté sera atteint). Tout en surveillant votre
cardio-fréquencemètre pour ne pas dépasser ce seuil, vous vous appliquerez à
pédaler dans votre cadence ciblée en adaptant votre braquet. Quand vous serez
capable d'évoluer durablement à 105 tr/mn sur un braquet donné et que votre
fréquence cardiaque diminuera peu à peu grâce à votre entraînement, vous
pourrez effectuer le même travail avec un braquet un peu plus grand.
Ne précipitez pas les choses, et
n'hésitez pas à répéter plusieurs entraînements avec un même braquet pour bien
intégrer la cadence avant de vouloir effectuer le travail sur un braquet
supérieur, et ainsi de suite.
Attention, nous ne sommes pas en train
de vous dire qu'à partir de ce jour, il ne vous faut plus travailler que la
cadence à l'entraînement. Parallèlement, il sera nécessaire de consacrer
quelques séquences au travail de la force, en grimpant des côtes sur un braquet
délibérément trop grand, aux alentours de 40 tr/mn, sans dépasser toutefois
votre seuil aérobie, car c'est le binôme force/cadence qui régit la puissance.
À puissance égale, si on réduit la
cadence de 80 à 40 tr/mn, la force est normalement doublée. On éduque les fibres
musculaires à produire une force beaucoup plus importante. Rappelez-vous
cependant qu'on ne peut travailler en même temps la force et la cadence de
manière efficace. Donnez un temps distinct à chaque type d'exercice. Sur la
route, la gestion de ce type de travail en rythme de pédalage nécessite de
changer plus souvent de braquet, car il faut tenir compte du vent, de la
déclivité et d'autres facteurs encore. Dans les ascensions assez longues, la
cadence que vous vous efforce
rez d'atteindre
sera de l'ordre de 80 à 85 tr/mn. Bon travail, et attendez-vous à des surprises
au départ si vous étiez persuadé d'avoir le bon rythme !
Vaincre les sommets
Comment s'équiper en vue des
prochains rendez-vous de montagne ? Vous prendrez vite conscience qu'il vous
faudra disposer de braquets plus réduits pour franchir sans dommage les
ascensions de cols, surtout si elles s'enchaînent. Ceux qui vous trouvaient
ringard, voire "cyclotouristepépère", avec votre triple plateau déchanteront
rapidement lorsque vous les doublerez. Ils n'auront d'yeux que pour votre
cadence et jetteront un bref coup d'oeil sur vos braquets en comprenant que
c'est plutôt leur rythme lent qui leur donne des allures de "pédaleur du
dimanche matin".
Si votre pratique ne nécessite en
général que l'usage d'un double plateau, pour la montagne, le montage d'un
triple plateau peut se limiter en plus d'une roue libre spéciale (toujours
inévitable) à l'investissement suivant : un adaptateur double/triple (TA ou
Stronglight), un boîtier de pédalier à axe plus long, et un dérailleur avant à
fourchette spéciale pour venir ramasser la chaîne sur le plus petit plateau.
Vous serez paré.
Selon la pente, vous comprendrez quel
braquet vous devez utiliser en fonction de la vitesse à laquelle vous êtes en
mesure de monter. Pour vous éclairer, sachez que pour respecter seulement 70
tr/mn, par exemple:
Si vous grimpez
à
14 km/h
Votre braquet ne devra pas dépasser 39x25
13
km/h 39 x 27
ou 32 x 22
12
km/h 32 x 24
11
km/h 30 x 24
10
km/h 30 x 27
9
km/h 30 x 30
8
km/h 30 x 32
Nous vous parlions de surprises !
Alors que la cadence optimale (avec une préparation progressivement adaptée)
devrait se situer à 85 tours par minute.
Pour atténuer votre scepticisme,
sachez que nous avons mené l'expérience sur la seule montée
Télégraphe-Galibier avec 42 x 25 (3,57 m) puis avec 30 x 23 (2,77 m) comme
plus petits braquets. Dans le deuxième test, nous avons gagné près de 2 km/h
de moyenne et terminé avec une musculature en bon état, ce qui était loin
d'être le cas lors de la première expérience. Dans une circonstance, nous
avons accumulé l'acide lactique en travaillant en force, dans la seconde nous
avons augmenté la cadence et la souplesse. Même si vous n'ambitionnez pas
d'égaler les performances de Lance Armstrong, vous aurez pu prendre conscience
des progrès que vous pouvez réaliser par un travail adapté. Si les cadences
infernales des champions vous effraient quelque peu au premier abord, elles
demeurent des objectifs vers lesquels vous devez tendre. ∎
Dossier réalisé
par Bernard Devenasse avec le précieux concours de Robert Gauthier,ingénieur
thermodynamicien,président du Centre médico-sportif de Lyon.
Cyclo Passion de
Fev 2001